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Procès d’un trafic de cocaïne en Côte d’Ivoire : « Je n’ai jamais parlé de drogue dans un groupe WhatsApp. Et encore moins à mes parents ! »

Le procès à rebondissement d’un trafic international de cocaïne a repris ce jeudi 14 mars au pôle économique et financier d’Abidjan. C’est au tour d’Hussein Taan de comparaître, propriétaire de deux établissements bien connus à Abidjan : la boulangerie-pâtisserie Des Gâteaux et du Pain, et le restaurant de cuisine italienne Pasta e Pizza. L’homme d’affaires franco-ivoirien d’origine libanaise doit répondre d’accusations, distinctes, de trafic de drogue international et de fraude fiscale.
Contrairement à la majorité de ses coaccusés, celui qui s’avance à la barre ne porte pas le dossard des prisonniers de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) : il est en liberté conditionnelle. Hussein Taan a un maintien décontracté, en tee-shirt et pantalon noirs, une paire de sneakers Adidas assorties. Il ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés, déclare-t-il à la présidente de la cour. Non, il n’est pas au courant de la saisie de deux tonnes de cocaïne à San Pedro en avril 2022. Non, il ne connaît ni Miguel Angel Devesa Mera, accusé d’être le cerveau du réseau, ni sa complice présumée Marcelle Akpoue.
La procureure se lève. Elle annonce que « des images et des données rattachées au trafic de cocaïne ont été retrouvées dans le téléphone » d’Hussein Taan. Et plus particulièrement dans des discussions tenues sur des groupes WhatsApp, dont l’un est justement intitulé… « Cartel ». « C’est “Quartel” », avec « QU » !, corrige Hussein Taan, qui précise qu’il s’agit d’un jeu de mot avec « Quartier ». « C’est juste un groupe avec quelques amis d’enfance. Pour les commérages ! » La procureure le contredit : « Nous avons pourtant trouvé des messages parlant de drogue ! » Alors qu’elle décline leur référencement dans le dossier d’instruction, les avocats s’emportent : ils viennent de s’apercevoir que plusieurs pièces manquent au dossier qui leur a été livré. L’audience est suspendue, les magistrats emportent la dispute en coulisses.
A la reprise, la procureure accepte de lire les messages compromettants. Le premier a été envoyé par un ami d’Hussein Taan en 2017, dans lequel il déclare vendre de la cocaïne. « Husco [le surnom du prévenu], tu as plein de proches qui sont des grands consommateurs », lance-t-il, avant de proposer de leur « faire des prix ». Hussein Taan demande à connaître sa propre réponse à cette proposition, mais la procureure botte en touche. Le dossier n’inclut pas la suite de la conversation. « C’est tout de même étrange, ironise l’un des avocats. Vos amis vous annoncent vendre de la drogue et proposent de faire un prix à vos proches, alors que vous seriez vous-même dans le trafic ? »
La procureure passe alors en revue un second groupe WhatsApp, réservé à la famille Taan. C’est une photographie qui est mise en cause : un petit colis dans un sachet noir, étroitement scellé par des bandes adhésives. Un « conditionnement suspect », annonce la procureure, qui somme le prévenu de s’expliquer. Il s’agit de liasses de billets en euros, selon Hussein Taan. « En juillet 2020, ma grand-mère a attrapé le Covid-19 et est tombée gravement malade en France. Elle devait être placée en réanimation, mais n’était pas rattachée à la Sécurité sociale », souligne-t-il.
Le prévenu, appelé au secours, envoie 30 000 euros, en recourant à un système de transfert international informel appelé « awala », souvent pratiqué entre Paris et Abidjan. Il remet ainsi la somme en francs CFA à une intermédiaire ivoirienne, après quoi une correspondante parisienne livre l’équivalent en euros, emballé dans le sachet noir, à la famille Taan. La défense lit les messages précédant et suivant l’envoi de la photographie, qui semblent confirmer la version de l’accusé. « Je n’ai jamais parlé de drogue dans aucun groupe WhatsApp, s’exclame Hussein Taan. Et encore moins à mes parents ! »
La cour poursuit sur le restaurant Pasta e Pizza, qui figure lui aussi dans la liste des accusés, et auquel sont associés deux hommes, les frères Antonio et Bartolo Bruzzaniti. D’anciens habitués d’un café géré par Hussein Taan, précise le prévenu, où les trois hommes ont tissé des liens autour de leur amour commun pour la pizza. « Je leur ai fait goûter les miennes, qui ne les ont pas convaincus, raconte le Franco-Ivoirien. Mais quand ils m’ont fait goûter les leurs, j’ai été séduit et on a décidé de monter un restaurant ensemble en 2016. »
Seulement, Bartolo Bruzzaniti est un membre présumé de la mafia calabraise’Ndrangheta et serait impliqué dans des opérations de contrebande internationale de cocaïne. Hussein Taan jure l’avoir ignoré tout le temps de leur collaboration. La création de Pasta e Pizza a d’ailleurs été finalisée chez un notaire, précise-t-il, où les associés ont dû produire un extrait de casier judiciaire. Celui des frères Bruzzaniti était vierge. Recherché depuis 2022 par les autorités italiennes sur la base d’une notice rouge d’Interpol, Bartolo Bruzzaniti a été arrêté au Liban en 2023 et extradé vers l’Italie, où son frère Antonio Bruzzaniti a également été arrêté. Les deux hommes, en attente d’un jugement, ont affirmé devant la justice italienne que le Franco-Ivoirien n’avait rien à voir avec leurs activités.
Quant à Miguel Angel Devesa Mera, c’est par triangulation téléphonique que la police ivoirienne l’a rattaché à Hussein Taan. Le smartphone du prévenu a borné une fois près de celui de Miguel Angel Devesa Mera en Zone 4, une autre fois près de celui de Marcelle Akpoue. Un avocat d’Hussein Taan signale que la technique de triangulation a une précision à 300 mètres, ce qui semble insuffisant pour prouver qu’une rencontre a bien eu lieu entre les accusés. Appelés successivement à la barre, Miguel Angel Devesa Mera et Marcelle Akpoue confirment tous les deux ne pas connaître Hussein Taan. Dans une audience précédente, M. Devesa Mera avait également annoncé ne jamais s’être associé avec les frères Bruzzaniti.
Hussein Taan doit enfin répondre à une charge de fraude fiscale, même si le lien avec le narcotrafic de San Pedro n’est pas dévoilé par la cour. L’accusation porte sur son association avec un autre prévenu, l’Italien Maurizio Cocco, ingénieur en bâtiment et géologue. Il est « l’entrepreneur » de M. Taan, explique ce dernier, qui l’a chargé de construire une maison. Hussein Taan lui a ainsi payé 40 millions de francs CFA, en plusieurs versements, sur une période de huit mois. La procureure l’interpelle sur ces paiements en espèces et déplore un manque de traçabilité, pointant des risques de fraude. Dans l’audience, un avocat de la défense rit tout bas : « Pour le placement en liberté provisoire, on a payé une partie de la caution en espèces… »
Mais il n’existe aucune plainte de l’administration fiscale, pointe la défense, qui a déjà demandé deux fois l’annulation de ces poursuites. « Quels sont les impôts que vous n’auriez pas payés ?, fait mine d’interroger l’un des avocats. Quels sont les montants qui seraient dus ? Concrètement, qu’est-ce qu’on vous reproche ?  » « Très franchement, conclut Hussein Taan, moi-même, j’aimerais le comprendre…  » Les audiences reprendront jeudi 21 mars.
Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)
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